Symptômes : Perte de sens (au travail) – Invisibilisation – Propos incohérents – Déclenchement de rapport de force.
Thérapie : Pratiquer l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC) de manière structurelle.
Le syndrome de l’iceberg est fictif. N’en doutez pas, le second degrés introduit cet article. Pour autant, ses multiples symptômes sont bien réels. C’est d’ailleurs dans votre propre réalité professionnelle qu’il est probable qu’ils se développent sans que vous n’ayez pu conscientiser ses causes organisationnelles et ses effets indésirables.
C’est à cette zone d’ombre qu’entend éclairer la logique de l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC) : permettre de mettre des maux sur ce qu’implique votre modèle économique et votre perception du travail.
Une des clés centrale de l’EFC est la mise en lumière de la différence entre le travail prescrit et le travail réel.
Dans une logique classique (que nous appelons « industrielle »), on vise une conformité du travail par rapport au prescrit. Des heures d’intervention effectuées chez le client, un process qualité respecté, un cahier des charges rempli, un parcours de vente d’un produit respecté ou enfin de compte : le petit sommet de l’iceberg si l’on considère l’immensité de ce qui se vit beaucoup plus concrètement dans nos relations de travail. Dans nos relations d’accompagnement à la résolution de diverses problématiques autour desquelles trouvent sens nos métiers.
Les « lunettes » de l’EFC permettent, entre autres considérations, de percevoir et distinguer les modes d’organisation et rapports économiques plus ou moins favorables à la révélation et la reconnaissance du travail comme engagement subjectif (enjeux dont dépend notre santé et notre émancipation par le travail) et comme source centrale de création de valeur, bien au-delà de ce que le prescrit est capable de supposer ou d’orchestrer.
Une aide à domicile est payée et identifiée pour réaliser 30 minutes (chrono) de « ménage », de soins et de tâches standardisées. C’est le prescrit ordonné de son travail par le process. La logique industrielle est cette manière de comptabiliser et de formaliser son intervention chez un ensemble de patients en manque d’autonomie.
Pour autant, cette optique ne vient pas de nul part. Notre perception du travail est déterminée, orientée, confortée par toute une logique économique conditionnée par la poursuite des volumes.
D’abord, cette organisation est influencée par la manière dont la structure est financée. Pour déterminer le niveau de financement accordé à la structure d’aide à domicile, l’acteur public se rassure en mesurant la partie émergée de l’iceberg. Les tâches effectuées par les aides à domicile qu’il finance doivent être visibles, calibrées, optimisées, maîtrisées et quantifiées.
La structure prestataire doit alors rendre des comptes chiffrés attestant que le travail fourni a bien pu remplir les déterminantes de productivité fixées, que le travail réel correspond bien au travail prescrit.
C’est ainsi que la logique industrielle a besoin de standardiser des volumes de biens et de services : pour faire fonctionner tout un ensemble d’enjeux de productivité et de contrôle de la mesure.
Le travail réel et les effets utiles de l’aide à domicile demeurent alors inévitablement la partie immergée de notre iceberg de par l’hégémonie de toute une organisation qui ne tient compte que de ce qui est prescrit, qui ne mesure que la « tâche » : le ménage.
N’est entendu que ce qui est attendu, n’est visible que ce qui est contrôlé et anticipé.
Ce mode d’organisation pourrait possiblement être pertinent si l’aide à domicile est remplacée par un robot ménager.
Or, c’est là une preuve particulièrement courante d’une incompréhension de ce qui se joue réellement dans le travail d’un être humain, qui doit engager sa subjectivité et son professionnalisme pour se confronter aux aléas, aux contraintes, aux singularités et aux imprévus d’une situation de travail.
Plus encore, remplir une tâche n’est jamais désincarnée. Les effets utiles de l’intervention régulière d’une aide à domicile ne peuvent se résumer à un ensemble de tâches, à un nombre d’heures ou un nombre de « ménages ». Ce que produit le travail réel est une question qui échappe au contrôle et à la mesure.
On ne peut mesurer un pourcentage de lutte contre l’isolement social des personnes âgées ou en difficultés. On ne peut mesurer le taux de fluidité de leur accès aux soins, ni quantifier un niveau de capacité de la professionnelle à alerter le corps médical sur les états de santé de la personne isolée (grâce à une réelle proximité). Or, voilà ce que penser la dimension vivante du travail peut révéler. Voilà le type d’utilité que la logique de l’EFC œuvre à revaloriser bien au devant des volumes de biens et services standards.
Dans une logique industrielle, le but du management est de réduire cet écart entre travail prescrit et travail réel.
Si lorsqu’un écart entre ce que vous pensiez devoir ou pouvoir produire et ce que vous faîtes ou devez finalement faire : vous gêne ou gêne votre direction. Si vous pensez qu’il vous faut réduire cet écart : c’est que cette logique industrielle imprègne encore vos repères professionnels ou ceux de votre organisation.
De nombreuses personnes, une majorité certainement, ont l’impression d’échouer ou même de ne pas travailler s’ils sont en dehors du prescrit ou s’ils n’ont pas réussi à produire ce qu’ils avaient prévu de produire.
Dans notre cas pratique : le process étant standardisé (30 minutes de « ménage » par patient), prendre subjectivement un peu plus de temps pour se tenir à l’écoute d’une patiente isolée qui n’a de contact qu’avec l’aide à domicile dans ses longues et tristes semaines : sort du process. C’est une faute commise à l’encontre de la mécanique industrielle du travail.
C’est un contexte qui pourrait aussi, de manière plus ou moins inconsciente, pousser l’aide à domicile à couper systématiquement et parfois brutalement court aux relations humaines au devant le « ménage », à se renfermer, à être efficace plutôt qu’être attentionnée. Preuve du conditionnement qu’implique les logiques économiques qui nous gouvernent.
Or, une aide à domicile : aide. « Aider » est une donnée subjective. « Aider » est surtout une donnée qui ne peut pas être pensée en dehors des situations singulières. Il y a des milliers de manières d’aider une personne âgée ou isolée.
Dans le retour d’expérience de cette structure (dont le dirigeant est un ancien adhérent du Club Noé), nous pouvions comprendre que parfois, avant l’arrivée de l’aide à domicile : le ménage était déjà fait. Aider consistait parfois plutôt à assister la rédaction d’un document administratif. Aider consistait souvent à tenir le lien social, à discuter, à rire, à maintenir un peu de vie bien au-delà d’effacer un peu de poussières.
Dans une logique servicielle, le travail EST l’écart entre le prescrit et le réel.
Un écart entre le prescrit de 30 minutes de « ménage » et le réel d’une situation d’entraide et de soutien moral du patient est là justement la source de création de valeur la plus profonde, la plus riche et la plus servicielle.
Si le réel dépasse le prescrit : c’est que quelque chose est a valoriser particulièrement ! Ceci n’est pas un enjeu anecdotique ou relatif à quelques situations d’innovation. La partie immergée de l’iceberg, dans les faits comme dans cette métaphore : est toujours beaucoup plus grande que la partie visible (ce qui peut être presccrit).
Tout l’enjeu de la structure d’aide à domicile est alors de faire valoir la dimension servicielle de son action auprès de son financeur public. Un travail de révélation, de réflexivité (en savoir plus par ce lien) doit s’engager sur la base du travail réel (en abordant des situations réelles de travail chez les patients) pour discuter des effets utiles concrets que les aides à domicile produisent et ce que ce travail demande en termes de ressources, de considération et de moyens.
Puisque notre sujet, dans l’EFC, est de valoriser le travail réel et ses effets utiles, plutôt que les volumes de biens et de services (définition même) : la porte d’entrée de cette nouvelle perspective économique plus souhaitable est alors de sortir de la description de notre travail par la logique de tâches. En somme : rendre accessible et partageable la partie immergée de notre travail.